Résumé :
Les stéréotypies, souvent associées à l’autisme, représentent un défi pour l’adaptation et l’interaction sociale des individus concernés. Leur origine demeure floue, rendant difficile l’établissement d’une classification consensuelle et, par conséquent, le développement de traitements adaptés. Cet article vise à explorer la nature fonctionnelle et développementale des stéréotypies pour mieux comprendre ces comportements et proposer des pistes thérapeutiques adéquates.
Les stéréotypies, ou autostimulations, sont des comportements répétitifs sans but apparent, observés dans des conditions neurologiques et psychiatriques variées, mais particulièrement prévalents dans l’autisme. Bien que classées traditionnellement selon leurs manifestations extérieures, une approche axée sur leur fonctionnalité et leur origine pourrait offrir de nouvelles perspectives de traitement. Trois hypothèses principales sont discutées : les stéréotypies comme réponse à des dysfonctionnements sensoriels, perceptifs ou cognitifs.
Une nouvelle classification est proposée, distinguant les stéréotypies selon leur origine sensorimotrice, perceptivo-motrice ou cognitivo-motrice, chacune impliquant des stratégies thérapeutiques spécifiques. Les stéréotypies sensorimotrices, par exemple, pourraient bénéficier d’interventions ciblant les dysfonctionnements de la modulation sensorielle. Les stéréotypies perceptivo-motrices, liées à des déficits perceptifs, nécessiteraient une rééducation sensorielle spécifique. Enfin, les stéréotypies cognitivo-motrices, résultant de troubles des fonctions exécutives, pourraient être atténuées par des exercices renforçant ces capacités.
Ce cadre conceptuel renouvelé souligne l’importance d’une évaluation précise et personnalisée des stéréotypies chez les personnes autistes, en vue de développer des interventions plus ciblées et efficaces, favorisant une meilleure adaptation et qualité de vie.
Introduction
Les stéréotypies ou les autostimulations font partie intégrante du tableau symptomatique de l’autisme (DSM 5, 2013). La survenue envahissante de ce type de manifestations comportementales pose souvent problème car elle altère le niveau d’interaction et d’interactivité avec l’environnement social et thérapeutique. Ainsi, se pose la question de leur nature, de leur fonction et signification. Pourquoi les personnes autistes développent elles de telles systématismes comportementaux ? Peut-on donner un sens à ce type de comportements ou bien n’en ont-ils aucun ? Nous tenterons au travers de cet article de clarifier ces questionnements ainsi que de donner une classification de ces manifestations comportementales selon une approche psycho-fonctionnelle et développementale. De là, nous tenterons de dégager des hypothèses afin de proposer des orientations thérapeutiques.
I – Stéréotypies et autostimulations : définition
Le dictionnaire de psychiatrie (2000) désigne le terme de stéréotypie comme « un ensemble de phrases, attitudes, gestes, tics sans signification apparente, inlassablement reproduits au point d’entrainer parfois des lésions ». Ainsi, il distingue : les stéréotypies verbales portant sur des mots et des tournures de phrases, et les stéréotypies motrices ou gestuelles à type d’attitudes ou de gestes simples (moues, balancements de la tête ou du tronc, frottements des genoux, grattages, grincements de dents,…).
Le dictionnaire souligne que les stéréotypies « se rencontrent surtout dans les états schizophréniques, en particulier catatoniques, et les démences, mais aussi dans les arriérations mentales profondes et certaines psychoses infantiles sévères ou autistiques. Des affections cérébrales impliquant habituellement les régions frontales et les noyaux gris centraux doivent être recherchées ».
Cette définition souligne des stéréotypies leur multiplicité, leur caractère non fonctionnel, leur lien avec des pathologies diverses d’ordre développemental, neurologique ou psychiatrique. Plus spécifiquement les stéréotypies sont reliées à l‘autisme de par le fait de la fréquence de leur survenue dans cette population. Comme le souligne Marot Priscille (2013, P.14) : « Les comportements, activités et intérêts restreints, stéréotypés et répétitifs composent la problématique des Troubles du Spectre Autistique. Cette notion est complexe et difficile à définir. D’une part, elle regroupe un grand nombre de comportements avec des traits communs mais des présentations topographiques et fonctionnelles différentes. En effet, plusieurs termes sont utilisés pour décrire ces comportements, tels que les comportements répétés, les stéréotypies, les intérêts restreints, les persévérations, les rituels, l’automutilation, la résistance au changement, les compulsions,… D’autre part, les mécanismes physiopathologiques de ces comportements sont encore mal connus. Les auteurs parviennent difficilement à trouver un consensus pour décrire ces différents comportements car il n’y a pas de terme unique pour décrire toutes ces manifestations comportementales. De plus, les avis divergent quant à la manière de classer ces comportements ».
Il apparait en ce sens qu’aucun consensus n’est trouvé afin de fournir une classification des stéréotypies. Il apparait le plus souvent que les auteurs se perdent dans une forme de sémiologie qui fait apparaitre un caractère décousue et éparpillé des stéréotypies plutôt qu’une recherche de sens commun malgré les formes différentes. De plus, les auteurs paraissent diverger sur les termes qu’ils emploient selon la description de la forme ou de l’origine psychologique ou neurologique de la manifestation comportementale. Certains auteurs (Cunningham, 2008) précisent que « les comportements stéréotypiques sont très hétérogènes dans leur présentation. Les comportements peuvent être verbaux ou non-verbaux, orientés sur la motricité fine ou globale, ainsi que simples ou complexes. En outre, ils peuvent se produire avec ou sans objets. Certaines formes impliquent des maniérismes moteurs stéréotypés et répétitifs ou l’utilisation du langage ». Les auteurs soulignent que les stéréotypies ne peuvent être abordées uniquement au travers de leurs formes topographiques mais plutôt au travers leur aspect fonctionnel. Ils insistent aussi sur le fait que le terme de stéréotypie a été souvent remplacé par celui d’autostimulation ceci par le fait du lien qui a été fait entre la stéréotypie et son rôle de renforçateur sensoriel.
A savoir que (Ghanizadeh, 2010) :
- L’une des principales caractéristiques des troubles du spectre autistique est la présence des comportements répétitifs (restricted repetitive behaviors ou RRB) et des comportements stéréotypés,
- Les stéréotypies motrices sont des schémas de mouvements suppressibles, répétitifs, rythmiques, coordonnés, sans but, fixes et non fonctionnels,
- Les stéréotypies motrices commencent souvent avant l’âge de 3 ans,
- Les stéréotypies sont évaluées par le questionnaire « Repetitive Behavior Scale-Revises (RBS-R)* » ou par le « Repetitive and Restricted Behaviour Scale (RRB) »,
- La gestion des stéréotypies est le plus souvent faite selon des méthodes comportementales.
Certains auteurs (Singer, 2009) rappellent que les mouvements stéréotypiques sont généralement classés en 2 groupes, l’un primaire (physiologique) et l’autre secondaire (pathologique), en fonction de la présence de signes ou symptômes supplémentaires. Ainsi il se dégage ici l’idée que la stéréotypie fait partie du développement normal et aussi d’un profil pathologique. Il est dit qu’aux USA, 20% des enfants développent des stéréotypies primaires et environ 3-4 % des stéréotypies secondaires. Environ 44% des enfants autistes déclareraient la présence de stéréotyp
II – Pourquoi tant d’intérêt pour les stéréotypies et autostimulations dans l’autisme ?
Il existe plusieurs raisons qui attirent l’intérêt sur la présence des stéréotypies dans l’autisme. En premier lieu, les stéréotypies occupent une large partie des comportements de l’autiste au quotidien (Rapp, 2005). Les stéréotypies sont présentes dans différentes pathologies mais leur nombre et diversité apparait plus important chez les autistes (Goldman, 2009). Ensuite, la manifestation de stéréotypies peut avoir un impact social négatif et empêcher une interaction adaptée de la personne avec le milieu social dans lequel elle peut évoluer (Cunningham, 2008). Il est aussi connu que les stéréotypies interfèrent avec les apprentissages comme dans les taches de discrimination simple (Koegel, 1972). Les stéréotypies interfèrent pour l’acquisition des apprentissages mais aussi sur les temps post-apprentissages de temps libre. Les stéréotypies non-verbales interfèrent beaucoup avec les apprentissages alors que ceci n’est pas le cas pour les stéréotypies verbales (Charlop, 1983).
Les stéréotypies sont une préoccupation spécifique à l’autisme car leur fréquence d’apparition est largement supérieure que dans d’autres populations pathologiques. L’étude de Goldman et collaborateurs (2008) montre ceci au travers de populations d’autistes de haut et bas niveau comparées à 2 groupes de non autiste soit ayant des retard de développement du langage ou un retard intellectuel (voir graphique ci-dessous).
HFA (Autiste de haut niveau), LFA (Autiste de bas niveau), DLD (Non autiste avec retard de développement du langage oral), NALIQ (Non autiste avec retard intellectuel). On remarque que les 2 populations autistes développent plus fréquemment des stéréotypies que les 2 populations non autistes ayant des retards d’acquisition et intellectuel. De plus, on remarque que les garçons sont plus touchés que les filles dans les populations non autiste et que cela n’est pas vrai pour les autistes de haut niveau.
III – Origines des stéréotypies et autostimulations
La littérature développe des hypothèses théoriques concernant la ou les causes des stéréotypies. Nous verrons qu’il existe différentes hypothèses qui relatent différentes causes à l’origine des stéréotypies et qui nous permettront de mieux comprendre leur diversité.
- Origine sensorielle :
Une hypothèse énoncée par Lovaas (1987) est que la stéréotypie est une autostimulation qui est « un comportement opérant qui est maintenu automatiquement par les stimuli perceptuels de renforcement qu’il produit ». Ici le terme de stéréotypie est remplacé par celui d’autostimulation car le comportement est utilisé en boucle répétitive afin de recueillir les sensations ou perceptions qu’il produit. La répétition incessante du comportement vient d’une recherche active des conséquences sensorielles ou perceptives de l’action produite (c’est l’effet perceptif auto-renforçateur). Le terme d’autostimulation est tiré de cette hypothèse que le comportement stéréotypique est renforcé par le feed-back sensoriel inhérent à la stéréotypie. Mais nous verrons qu’il ne faut pas généraliser le terme d’autostimulation à la manifestation stéréotypique car certaines stéréotypies ne sont aucunement reliées à une valeur de renforcement sensoriel (Cunningham, 2008). Dans le cadre de l’hypothèse du renforcement sensoriel nous pouvons nous demander s’il s’agit d’un enrayement de la boucle perception-action du fait de l’emprise du stimulus sensoriel sur la boucle d’apprentissage. La question est ici de savoir ce qui cause cet enrayement ?
Les théories du dysfonctionnement de la modulation sensorielle permettent d’ouvrir deux hypothèses principales. La première est de dire que la personne qui s’auto-stimule recherche à produire des sensations qui lui font défaut (dans le cas de l’hypo-sensibilité) et la deuxième à se protéger des sensations qu’elles n’arrivent pas à supporter (dans le cas de l’hypersensibilité).
Dans le cadre de ces hypothèses, il est admis que le processus d’autostimulation s’inscrit dans le développement normal de l’enfant mais qu’il persiste car il n’amène pas à faire éclore des apprentissages élaborés. Ceci veut dire que les processus d’apprentissages ne bénéficient pas de l’apport ou des bénéfices de la boucle perception-action. En parallèle, le fait de s’autostimuler crée des sécrétions d’opioïdes dans le cerveau qui agit sur « la voie du plaisir » (Le Merrer, 2009). La personne qui s’auto-stimule peut être comparée à une personne dépendante de cette sécrétion et elle va rechercher la séquence exacte de la stéréotypie qui va générer cet apport de plaisir. Ceci explique la force d’attraction que l’autostimulation procure et le fait que la personne qui la cultive va se soustraire du reste de l’environnement. Les auteurs (Lovaas, 1987) vont décrire une foule de stéréotypies selon ce qu’ils appellent des « topographies » c’est-à-dire des formes très concrètes et précises de patterns d’autostimulation. Outre le fait qu’il existe des phénotypes divers il apparait que l’autostimulation se déroule dans un enchainement très précis et renouvelé de manière répétée sans variantes ou variations de programmation. Il s’agit dès lors d’une recherche de géométrisation d’un acte précis qui se doit de permettre le retour d’un renforçateur sensoriel ou perceptif qui déclenche une réponse de plaisir. On peut remarquer en clinique que certaines fois la recherche de plaisir est envahissante et peut aussi déclencher un état d’excitation importante à l’origine de rires incongrus et d’attitudes comportementales très instables. L’effet sensoriel ou perceptif de la stéréotypie génère un plaisir, un ressenti qui est agréable et qui peut se comparer à une véritable addiction. Le système de motivation s’associe à la conduite comportementale et la personne ne recherche que l’effet sensoriel générant un plaisir ou une excitation, par contre ce processus en boucle fermé apparait non fonctionnel pour les apprentissages. De là, il apparait que la boucle perception-action est enrayée de par l’existence d’une accoutumance ritualisée qui relie la stéréotypie motrices à une recherche de sensations sous couvert d’un apport psycho-affectif basé sur la une addiction au plaisir ressenti.
Exemples d’autostimulations d’origine sensorielle
- autostimulation visuelle : fixer les lumières, aligner des objets, refaire un casse-tête à répétition, bouger un objet ou les doigts en périphérie du regard, coller le visage proche d’un écran de TV ;
- autostimulation vestibulaire : balancement du corps, hochements de la tête, sauts de haut en bas, tourner sur soi-même ;
- autostimulation tactile : tapoter des objets, frotter des surfaces, appuyer sur des zones corporelles ;
- autostimulation auditive : répétition d’une série de mots ou de sons – écholalie différée, taper un objet sur une table, produire des bruits répétitifs ;
- autostimulation orale : mettre des objets ou des parties du corps dans sa bouche, lécher des objets, mordiller des objets ;
- autostimulation olfactive : sentir les objets, sentir les personnes.
- Origine socio-relationnelle
Outre le fait qu’une stéréotypie puisse se produire par renforcement sensoriel intrinsèque il apparait qu’elle peut aussi varier en fonction de stimuli extérieurs. Il a été constaté que la stéréotypie augmente lors de la présence de renforçateurs sociaux négatifs comme lorsque lors d’une tache d’apprentissage il est dit à l’enfant autiste « non ne fait pas cela » (Goh, 1995) ou bien lors de la présence d’une personne non familière (Runco, 1986). Il est aussi constaté (Corbett, 2016) chez des autistes Asperger qu’il apparait un taux de cortisol élevé durant un test d’interaction sociale. On peut se poser la question de savoir si le niveau d’anxiété influe sur l’émergence de stéréotypies et sur l’origine psycho-sociale de cette anxiété.
- Origine développementale
Les stéréotypies se rencontrent souvent chez les enfants avec autisme, ceux ayant des privations sensorielles ou des déficits intellectuels, mais ils se rencontrent aussi au cours du développement de l’enfant typique (Mahone, 2004 ; Leekam, 2007 ; Singer, 2009). Leekam et collaborateurs (2007) utilisent le questionnaire de comportements répétitifs (RBQ-2) dans une étude portant sur 679 enfants de moins de 2 ans et montrent que les enfants neurotypiques développent de manière significative des comportements de résistance au changement, des mouvements stéréotypés, des intérêts sensoriels et des préoccupations pour des modèles de comportements à intérêts retreints. Les auteurs concluent que les comportements répétitifs qui sont des critères diagnostiques forts de l’autisme ne doivent pas être seulement considérés dans leurs formes et structures comportementales mais aussi dans leur fonction et signification développementale. Chez les enfants typiques on trouve des stéréotypies motrices dans 80 % des cas avant 24 mois, dans 12 % entre 24 et 35 mois, et dans 8 % à partir de 36 mois et plus tard (Harris, 2008). D’autres auteurs (McDonald, 2005) observent que les enfants autistes augmentent leur stéréotypie de 40 % (surtout verbale) entre l’âge de 2 ans à 4 ans, et que leurs scores sont largement supérieurs à une population d’enfants typiques du même âge. Ainsi, les auteurs concluent qu’il est essentiel d’agir avant 4 ans afin de minimiser l’augmentation des troubles.
- Origine perceptive
Denis et collaborateurs (1997) montrent dans leur étude sur les caractéristiques de la perception visuelle chez les autistes que 80 % d’entre eux déclarent une hypermétropie et que 60 % d’entre eux déclarent un strabisme dont 40 % en exotropie. Ces caractéristiques amènent à la fois à des troubles perceptifs et perceptivo-moteur. En effet, il apparait chez eux une difficulté afin de fusionner les images transmises par les deux yeux ainsi que des troubles de la régulation visuomotrice. Scharre et Creedon (1992) concluent que sur 34 enfants autistes 21 % ont un strabisme pour la vision éloignée, 18 % pour la vision rapprochée, que seulement 14,7 % des enfants présentaient un suivi du regard satisfaisant et que chez 31 de ces enfants le nystagmus était insuffisant (oscillation latérale des yeux lorsque l’on tourne sur soi-même, se déplace en voiture). Landry et Bryson (2004) notent que les enfants autistes ont d’importantes difficultés afin de reporter leur attention d’un stimulus visuel à un autre et leurs résultats étaient comparables à des nourrissons de 2 mois. Tous ces résultats montrent de fortes altérations de la vision ambiante chez les enfants autistes. Il n’apparait pas de réelle données concernant le lien entre les problèmes visuo-perceptifs et les stéréotypies mais Trachtman (2008, p. 395) déclare qu’ « une hypothèse probable est que le comportement autistique est causé par un dysfonctionnement.
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