Autisme : mythologie d’une pathologie complexe

Introduction

Cet article tente de souligner que depuis sa conception le terme d’autisme, qui a fortement évolué dans le temps, transmet des valeurs sémantiques et nosologiques variées et souvent reliées plus à la croyance idéologique qu’à la raison scientifique.

Créé par Bleuler en 1911, puis repris par Kanner en 1943 la dénomination du terme autisme transmet des signifiants cliniques différents tantôt reliés à la psychanalyse tantôt à la psychologie affective à tendance comportementaliste. Il émerge chez Kanner deux symptômes principaux (l’isolement et le refus d’interaction, le besoin d’immuabilité face à l’environnement), et chez Asperger (1944) il apparait trois symptômes principaux : le déficit de communication sur le plan non-verbal uniquement, la diminution de l’empathie cognitive et une certaine maladresse physique. Un effort particulier fut fait par Kanner afin de différencier l’autisme de la maladie mentale et d’en faire une entité clinique à part entière.

Puis, la neurologie a permis d’introduire l’autisme comme pathologie du système nerveux central. L’autisme est ainsi décrit en terme de particularités de comportements (ex : intérêts restreints, stéréotypies ou mouvements répétitifs,…) et en terme de troubles du développement (retard cognitif, retard moteur, retard psycho-affectif, retard de communication et de relation) et de spécificité de fonctionnement (hyper ou hypo-sensibilité, perception atypique, théorie de l’esprit), ce qui contribue à complexifier les tableaux cliniques sans pour autant mieux cerner s’il existe une ou des causes communes à cette pathologie.

Il demeure ainsi une forte difficulté à comprendre l’origine des tableaux cliniques autistiques, et bien souvent le diagnostic précoce apparait difficile à poser et doit attendre l’âge de 3 ans. Dans ce mélimélo des descriptions symptomatiques de l’autisme il apparait clairement que la notion de TED (trouble envahissant du développement) relie l’autisme à des déficits de développement et que la notion de TSA (trouble du spectre autistique) relie l’autisme à son importante hétérogénéité phénotypique.

Dans ce sens nous nous posons la question de savoir pourquoi la détermination d’un diagnostic d’autisme est attachée à la notion de particularités comportementales sans que l’on tente d’éclaircir les causes de ces comportements (si ce n’est le plus souvent par une hypothèse génétique) ? Pourquoi décrit-on des phénotypes au lieu de tenter de se rapprocher des causes de leur émergence ? Afin d’expliquer, pour une part, la difficulté rencontré dans la compréhension des causes de l’autisme,
nous soulevons dans cet article la question de l’approche idéologique et de son influence sur le champ de compréhension de la pathologie. Nous verrons que l’approche idéologique enferme souvent la réflexion sur la pathologie autistique car une forme de mythologie interprétative peut apparaitre de ses fondements et ainsi empêcher d’avancer par la résolution logique.

1. Mythologie psychologique : lien entre autisme et maladie mentale.

Dès l’origine, le terme « autisme » fut créé (par Bleuler en 1911) pour rendre compte de la difficulté relationnelle des schizophrènes à relationner avec le monde extérieur et à leur attitude de se créer un monde à eux loin des autres. Ainsi historiquement, le terme autiste est relié à la maladie mentale de la schizophrénie. Même si Kanner et d’autres ont permis de décloisonner le terme d’autisme de la schizophrénie et d’en faire un tableau clinique distinct il n’en demeure pas moins qu’il apparait encore
aujourd’hui un lien plus ou moins conscient entre autisme et maladie mentale, comme savent si bien le faire encore certains pédopsychiatres en des termes de psychose infantile. Mélanie Klein parla de schizophrénie infantile concernant certains cas étudiés par elle qui seront plus tard identifiés comme des autismes de Kanner. L’orientation idéologique fait que le terme autisme se retrouve issu des concepts de la psychiatrie psychanalytique proche par exemple de la notion d’auto-érotisme de Freud, de la notion d’ambivalence et de clivage. Il est dans ce contexte difficile de penser relier le terme d’autisme à une démarche scientifique car dans le cas de la création du concept d’autisme nous voyons bien qu’il se rattache à des interprétations des comportements et non à des causes physiologiques de ces mêmes comportements. En ce sens, il apparait clair que le terme d’autisme est rattaché à une mythologie psychologique, celui de la maladie mentale, celui de la croyance que la personne qui développe des comportements autistiques se crée une sorte de refuge dans lequel elle se trouve bien.

Il est difficile d’admettre ici qu’une personne veuille s’enfermer dans un cachot afin de se sentir mieux, à moins effectivement qu’aucune possibilité ne lui soit donnée de l’extérieur afin de sortir de ce cachot.

2. Mythologie neurologique : lien entre autisme et génétique.

Les neurobiologistes ont rejetés les interprétations psychologiques de l’autisme et ont orientés la cause de l’autisme dans une pathologie du système nerveux. Il n’en demeure pas moins qu’après des années de recherche il n’apparait pas de consensus clair sur les causes neurologiques de l’autisme. Le cerveau particulier des autistes serait à l’origine de leur symptomatologie.

Mais pourquoi le cerveau des autistes serait-il si particulier ? La démarche neuro-développementale tente de répondre à cette question et pose le problème de facteurs biologiques qui interférent avec le développement normal du cerveau. La plupart des études qui font autorité excluent les facteurs environnementaux et bien souvent les facteurs génétiques sont hissés en haut de la scène. Ainsi, la neurobiologie de l’autisme tente de nous faire admettre que certains gènes dysfonctionneraient et amèneraient à faire dysfonctionner les synapses du cerveau. Il apparait actuellement (face aux approches métaboliques) que les ardents partisans de la recherche génétique commencent maintenant à parler en termes de
« susceptibilité » ou de « prédispositions génétiques » voir « d’épigénèse » de l’autisme.

Ceci suppose au moins à minima l’existence d’une relation étroite gène-environnement. Même si les facteurs environnementaux seront toujours discutés et discutables (trop peu d’études systématique et multiplicité des interactions environnementales), il nous faut pourtant désormais
envisager sérieusement les hypothèses sur les déficits métaboliques des personnes avec autisme. On trouve chez 80% d’un échantillon de personnes avec autisme la présence d’opioïdes dans leur urine
(Reichelt & Knivsberg, 2003; Whiteley and Shattock, 2002). Leur présence serait la conséquence directe de troubles gastro-intestinaux dont la prévalence est importante (pour une revue de littérature voir Karoly Horvath : http://www2.ulg.ac.be/apepa/document/horvath.pdf). L’équilibre bactérien ainsi que l’intégrité de la paroi intestinale est ainsi mise en question, et bien entendu les facteurs alimentaires. On trouve 50 % de personnes autistes souffrant de constipation chronique (Dalrymple &
Ruble, 1992) et aussi de diarrhées. Certaines substances peptidiques ou protéiniques passeraient dans le système nerveux central et endommageraient à la fois sa structure et son fonctionnement. De plus, des carences nutritives affaibliraient le fonctionnement neurologique. Selon les déséquilibres métaboliques l’intégration et la modulation neurologique serait elle-même en déséquilibre de fonctionnement (d’où les tableaux d’hypo-réactivité, d’hyper-réactivité et de recherche sensorimotrice).

Si de tels facteurs sont de plus en plus pointés comme significatif dans la pathologie autistique, qui rappelons-le est une pathologie précoce chez l’enfant, ceci permettrait de dire que l’hypothèse neurologique de l’autisme ne serait rattachée qu’à une mythologie, celle de croire que la spécificité de fonctionnement de l’autiste résulterait d’un fonctionnement neurologique particulier inhérent à une particularité neurogénétique, et non plutôt à une structuration et à un fonctionnement neurologique altérés par des facteurs métaboliques nocifs à forte prévalence environnementale.

Ainsi, toute approche neuro-développementale devrait tenir compte des facteurs potentiels d’intoxication métabolique qui peuvent être impliqués dans la pathologie observée. Ceci permet de mettre en avant la démarche biomédicale comme une nécessité afin d’éliminer la présence de facteurs d’intoxication exogène, et d’éviter le systématisme d’une hypothèse génétique à caractère eugéniste (dans le sens de favoriser l’hypothèse de tares héréditaires, de particularités ou de dysfonctionnements génétiques
comme cause suprême à l’apparition de comportements anormaux ou déviants).

3. Mythologie médicale : lien entre autisme et symptômes.

Face à l’observation de comportements atypiques, les règles de classifications médicales ne montrent souvent d’autres alternatives que de créer des catégories de symptômes qui par extension détermineront des pathologies générales ou spécifiques. Ainsi, lors de l’apparition d’un groupe de symptômes va être créée une entité diagnostic que l’on nomme le plus souvent maladie.

La démarche en psychiatrie a suivi celle de la médecine somatique dans le sens où lorsque différents symptômes comportementaux peuvent être regroupés sera créée une maladie dite mentale. C’est du fait de cette
démarche méthodologique médicale que découle, pour le diagnostic d’autisme, le regroupement de symptômes tel le comportement d’isolement, de stéréotypies et d’intérêts restreints. Ceci contribue
largement à déterminer la croyance que l’autisme est une maladie symptomatique.

Dans ce sens, ladémarche médicale, qui est de créer des entités diagnostiques, peut être la cause d’une erreur fondamentale, celle de relier l’autisme à une maladie développementale et d’ignorer le fait que le
dysfonctionnement de certains systèmes physiologiques pourrait être la cause de l’autisme, et qu’il faut discuter des causes de l’autisme et non simplement de ses tableaux symptomatiques. Il est bien entendu souvent souligné que l’autisme a de nombreuses comorbidités mais

  • Qu’en est-il réellement ?
  • S’agit-il de symptomatologies associées à l’autisme ou bien ces symptomatologies sont-elles en cause dans l’apparition de l’autisme ?

L’objectif prioritaire en sciences est de ne pas confondre les causes et les conséquences. Pour cela, depuis des temps anciens la règle fondamentale de la logique est utilisée, suivi par l’expérimentation et l’observation des phénomènes. Il apparait dans le champ de l’autisme que la méthodologie médicale de regroupement de symptômes soit une erreur méthodologique qui rend la décision diagnostique fortement complexe. En parallèle, la forte présence de clivages idéologiques et partisanes qui nient l’existence de certaines données au profit d’autres données ne participe pas à rendre le tableau de l’autisme plus lisible.

Le résultat de tout cela est souvent de s’en tenir à la lecture du symptôme sans appréhender sa cause, ceci constituant une limite ou une réduction de la possibilité de résolution de l’énigme de l’apparition des signes de l’autisme.

Par exemple, en tant que spécialiste en troubles de la modulation sensorielle j’ai mis en évidence que les stéréotypies fortement présentent chez les autistes pourraient être reliées directement à des troubles de l’intégration sensorielle, perceptive et motrice (Gorgy, 2014). Ainsi, un des signes principaux de l’autisme (ici la stéréotypie ou le comportement répétitif) serait la conséquence du dysfonctionnement de l’intégration neurosensorielle et neuromotrice.

Compte tenu du fait que suite à des traitements alternatifs (mesures sensorielles, diète en gluten et caséine, prise de magnésium
marin, de probiotiques,…) ces comportements ont fortement diminués chez plusieurs patients, nous avons reliés la source des troubles de la modulation neurosensorielle et neuromotrice à des dysfonctionnements métaboliques. Ce type d’hypothèse est complétement niée aujourd’hui par une majorité de professionnels médicaux s’occupant d’autisme. Le manque d’information, de formation et le cloisonnement idéologique sont néfastes au développement de suivis plus cohérents.

Ainsi, le raisonnement médical manque fortement de logique scientifique ce qui apparait faire naitre une mythologie de l’autisme dans le sens de favoriser des croyances ou des connaissances admises plutôt que d’élaborer des hypothèses et contre hypothèses permettant de faire évoluer la démarche d’investigation biomédicale, et de là de nourrir un espoir de traitements adaptés permettant la diminution de la symptomatologie.

4. Mythologie cognitive : lien entre autisme et retard mental.

Il apparait que la prévalence du retard mental dans l’autisme est de 70%. La notion de retard mental est associée à la notion d’intelligence et de développement cognitif. Ainsi, il se pose la question de
savoir comment les experts de l’intelligence évaluent les enfants autistes surtout qu’il n’existe pas réellement d’échelle de cotation de quotient intellectuel adaptée aux personnes autistes. Il est possible d’évaluer des champs de compétences par certains tests comme le PEP mais la notion
d’intelligence apparait impossible à évaluer car souvent rattachée à des compétences verbales pour une grande part alors que beaucoup de personnes autistes souffrent d’apraxie verbale (Tierney et coll., 2015).

De plus, la majorité des enfants autistes souffrent de troubles de l’intégration sensorimotrice précoce qui empêche la potentialisation des fonctions de l’intelligence.
Ainsi, il apparait que le lien direct fait entre retard mental et autisme pourrait s’avérer être une mythologie de plus. Ceci pourrait résulter de la propension qu’à notre société de discriminer les individus sur leur pouvoir d’accès aux niveaux de compétences et non de rechercher ce qui pourrait
altérer leurs possibilités d’accès à ces compétences afin de permettre de les potentialiser.

L’existence de périodes sensibles ou de potentialisation des fonctions perceptives et cognitives (surtout dans les 3 premières années de la vie) nous permet de penser que retarder les interventions thérapeutiques précoces peut se révéler être un important barrage pour la suite du développement des fonctions de l’intelligence. Ainsi, maintenir une mythologie du lien entre autisme et retard mental peut s’avérer fortement néfaste pour l’évolution « plastique » de l’enfant autiste. De plus, nier
l’existence de facteurs métaboliques qui obstrueraient le développement permet de penser que la mise en place de méthodes d’éducation et ou de rééducation peuvent ne servir à rien voir même développer des réactions psychologiques néfastes pour la relation de la personne autiste avec son
environnement.

Conclusion

L’objectif de cet article vise à susciter une première analyse critique des idéologies psychologique, neurologique, médicale et cognitive concernant leurs projections sur les handicaps de l’autisme.

Même si dans cet article la notion de maladie est discutée, il existe néanmoins des dérèglements métaboliques importants qui pourraient être à l’origine de dysfonctionnements physiologiques importants et capitales pour le développement, ce qui pourrait correspondre à la conséquence d’une forme de maladie. La complexité des tableaux cliniques confèreraient à cette maladie neurodéveloppementale une multitude de facteurs agissants à différentes périodes du développement.

Il est reconnu par exemple que l’autisme de type régressif (où les fonctions du langage et de la communication sont largement atteintes) apparait selon un pic autour de 18 mois (Rogers, 2004 ; voir figure 1).

On observe en conséquence, dans le tableau final de l’autisme, des difficultés d’adaptation importantes qui relèvent d’une responsabilité pluridisciplinaire sur le plan de la prise en compte thérapeutique des symptômes autistiques.

Figure 1 : Pic d’apparition de la régression des habiletés (ici principalement les fonctions du langage et de la communication)
chez une population d’enfants atteints d’autisme régressif (courbe bleue foncée). On remarque que d’autres pathologies du développement sont concernées par cette période de régression des habiletés langagières (PDD : trouble envahissant du développement ; ASD : trouble du spectre autistique ; Aperger’s : syndrome d’Asperger ; la classification américaine diffère ici de la française et fait que l’autisme est un diagnotique très sévère de l’altération du développement) mais que l’autisme est la pathologie qui montre l’atteinte la plus importante.

Ceci pose la question que l’autisme n’est que la conséquence d’une
atteinte très importante des fonctions du développement impliquées dans la communication.
Nous proposons ainsi l’idée d’un profil pluridimensionnel* qui pourrait tenter d’éclaircir dans un premier tempsla complexité du tableau clinique d’autisme. La pluridisciplinarité est une pratique entre les disciplines et des échanges entre les professionnels pourraient porter une meilleure compréhension des troubles et d’obtenir plus aisément une synthèse des situations.

Pour cela, un plan d’action thérapeutique doit tenir compte des handicaps de la personne autiste par l’évaluation pluridimensionnelle, qui n’est autre que la synthèse des bilans pluridisciplinaire en relation avec un mode d’action pratique, c’est-à-dire la construction et la structuration d’outils capables d’interagir entre eux. La pluridisciplinarité ne se résumerait donc pas en une lecture séparée de bilans mais bien en leur synthèse et en leur association.

Une logique d’action pluridisciplinaire au service de la personne autiste apparait nécessaire afin de réduire les incertitudes et de répondre plus
spécifiquement aux besoins, ceci en tenant compte du lien de cause à effet entre les différents signes ou données recueillies. Ceci nécessite une réelle révolution des pensées et des actes dans un système où la hiérarchie et la prévalence idéologique domine sur l’association des savoirs et la raison.

Nous aborderons dans un prochain article la notion de profil pluridimensionnel ainsi que nous illustrerons sa mise en pratique dans une étude de cas.
*Profil pluridimensionnel : il regroupe le profil sensoriel, moteur, émotionnel, cognitif, comportemental et biomédical.

Bibliographie

Dalrymple, N. J, & Ruble, L. A. (1992). Toilet training and behaviors of people with autism: Parent views.
Journal of Autism and Developmental Disorders, 22 (2), 265-75.
Gorgy O (2014). Intégration perceptive et motrice : Intérêts dans la compréhension des stéréotypies chez l’enfant avec TSA ? Les Entretiens de Bichat, Paris, 33-39.

Reichelt, K. L., & Knivsberg, A. M. (2003). Can the pathophysiology of autism be explained by the nature of the discovered urine peptides? Nutritional Neurosciences, 6 (1), 19-28. Review.

Rogers, S. J. (2004). Developmental regression in autism spectrum disorders. Mental retardation and developmental disabilities research reviews, 10(2), 139-143.

Tierney C., Mayes S., Lohs S., Black A., Gisin E. et Veglia M. (2015). How Valid Is the Checklist for Autism Spectrum Disorder When a Child Has Apraxia of Speech? Journal of Developmental & Behavioral Pediatrics, 36(8), 569-574 Whiteley, P., & Shattock, P. (2002). Biochemical aspects in autism spectrum disorders: updating the opioid-excess theory and presenting new opportunities for biomedical intervention.

Expert Opinions and Therapeutic Targets, 6 (2), 175-183.

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